07 mars 2024

Prise de parole / Avis d'experts

La décarbonation du transport aérien : progrès technique et contraintes économiques

Article d'A2 Consulting sur la décarbonation du transport aérien

Le défi de la neutralité carbone à l’horizon 2050 dans le monde aéronautique est devenu, dans les dix dernières années, une réalité qui rythme un secteur en pleine croissance. Pour autant, l’aéronautique doit faire face à un nombre important d’obstacles techniques, sociaux et économiques pour atteindre cet objectif. En ce sens, la problématique de la décarbonation du transport aérien nécessite une analyse nuancée, qui prend en compte la complexité technologique et économique d’un secteur en pleine croissance. L’économiste Joseph SCHUMPETER parlait en son temps de « grappes d’innovations », c’est-à-dire des périodes données dans lesquelles des innovations ont porté leurs fruits et ont engendré d’autres innovations. Cela sera-t-il le cas pour le marché aérien ? Eléments de réponse.

Les enjeux de la neutralité carbone pour le secteur aérien sont clairs : concilier une croissance importante, notamment dans les pays émergents qui voient arriver une classe moyenne consommatrice de voyages, avec la nécessaire lutte contre le réchauffement climatique, dans lequel la part de l’aérien est importante (environ 3 % des émissions mondiales). Nous tentons dans cet article de dresser un constat sur les grandes problématiques de la décarbonation de l’aérien.

Pricing & marché tendu : impacts sur le progrès technique

Le monde du transport aérien a fait l’objet de profondes transformations dans les cinquante dernières années. Des croissances à deux chiffres, l’avènement des compagnies low cost et la démocratisation du transport par avion ont rendu le marché extrêmement concurrentiel.  Le pricing agressif des compagnies low cost qui ont tiré les prix vers le bas et, par voie de conséquence, les marges opérationnelles, n’aide pas à l’investissement massif dans la R&D.

Ce marché tendu impose en grande partie le rythme de la transition écologique du transport aérien. En effet, les coûts de développement très élevés de technologies nouvelles doivent nécessairement être répercutés sur le prix des billets.

Sustainable Aviation Fuel advertisment at Frankfurt airport
Les premiers aéroports investissent dans les carburants d’aviation durable et dans les infrastructures associées. Attribution : Ubahnverleih, CC0, via Wikimedia Commons

L’exemple le plus probant à court terme se trouve dans les SAF (Sustainable Aviation Fuel), les carburants nouvelle génération produits à partir de la biomasse. Cette technologie mature demande des investissements conséquents pour produire les volumes nécessaires à leur démocratisation. Cela se traduit par un prix au litre plus de 3 fois supérieur à celui du kérosène, qui bénéficie qui plus est d’une défiscalisation importante. Par conséquent, leur utilisation reste aujourd’hui très marginale.

Cette tension sur le modèle économique des compagnies pose aussi d’autres questions : la propension des consommateurs à payer plus pour émettre moins, l’image des compagnies aériennes (exemple de l’aviation bashing) ou encore la limitation des émissions via les quotas de voyages en avion. Enfin, la taxation et les mesures d’incitation fiscales mises en place par les gouvernements pour alimenter la R&D et financer la filière sont des sujets à forts impacts sur les prochaines années.

État de l’art du progrès technique actuel : enjeux et réalités

Le domaine de machines aussi complexes qu’un aéronef moderne rend difficile la mise en œuvre de technologies de rupture. Le progrès technique des 30 dernières années dans le domaine aéronautique tend plutôt à une optimisation de modèles ayant fait leurs preuves.

Le domaine de la motorisation, par exemple, a vu son progrès passer par l’utilisation de matériaux innovants et plus légers, d’optimisation des chambres de combustion et d’augmentation des taux de dilution (rapport entre les parties chaudes et froides du moteur permettant l’optimisation du rapport poussée / carburant brûlé).

Des technologies de rupture comme l’open rotor font régulièrement leur apparition depuis les années 90et, malgré leurs indéniables avantages, nécessitent une trop profonde refonte des plateformes (adaptation des avions à ce nouveau type de motorisation) pour voir le jour sur des appareils de ligne.

D’autre part, la technologie électrique, dont le rendement est le meilleur face à tous les autres types de motorisation, souffre du progrès poussif sur la question des batteries. Le poids étant un ennemi incommensurable en aviation, il reste très difficile de dépasser des distances de 500 km aujourd’hui. De plus, la source de production de l’électricité doit être également décarbonée. Pour autant, malgré tous ces défis techniques, c’est une voie dans laquelle s’engouffrent de nombreux constructeurs (Aura Aéro par exemple, entreprise française ambitionnant la création d’un avion électrique régional à propulsion hybride).

On note également, sur la potentialité de l’utilisation de l’hydrogène, que de très nombreux défis technologiques s’imposent, notamment sur la conservation à l’état liquide de ce carburant pour être stocké dans les réservoirs des avions. De plus, tout comme les SAF, l’infrastructure de production actuelle ne permettrait pas de concourir à la consommation du secteur aérien.

Enfin il est important de constater que la durée de vie des avions en service, souvent de plus de trente ans, freine nécessairement le renouvellement des flottes qui restent encore pour beaucoup composées d’avions d’anciennes générations. Des gains marginaux sur la consommation avec les évolutions des technologies actuelles permettent en effet de réduire l’impact carbone du secteur à court terme, mais cela reste freiné par un faible taux de renouvellement des flottes.

Safran open rotor
L’open Rotor, un moteur non caréné promettant plus de 20 % d’économies de carburant. Attribution : Tiraden, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

Sécurité & certification : un temps long nécessaire

Poste d’essai d’un A380 : plus de 2500 heures de vol d’essai sont nécessaires avant le lancement commercial d’un avion de ligne. Attribution : Apetrov09703, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

Les normes qui régissent le monde de l’aéronautique ont largement fait leurs preuves en élevant le niveau de sécurité aux plus hauts standards. Cela implique des processus de certification longs, qui font à leur tour émerger de nouvelles problématiques.

Reprenant l’exemple de l’open rotor et de sa soufflante non carénée (pales à l’extérieur du moteur), les processus de certification imposent le test de la « perte de pale ». Le moteur doit démontrer sa capacité à contenir les pales pour éviter d’endommager le fuselage et les ailes en cas d’ingestion d’oiseau, de rupture de fatigue, etc. Les constructeurs doivent rivaliser d’ingénierie et de développement pour satisfaire à ces tests qui conditionnent la mise en service des avions de demain.

L’utilisation de nouveaux carburants implique également une myriade d’études et de certifications sur les effets en termes de durée de vie des pièces du moteur, les effets corrosifs, les températures de combustion, etc. Ces processus de certification ralentissent la mise en service de technologies pourtant matures.

Des avancées concrètes

Malgré tous les freins évoqués précédemment, il convient de prendre du recul sur les avancées réalisées ces dernières années, non seulement sur les plateformes mais aussi sur tout l’environnement nécessaire aux opérations.

On peut par exemple prendre l’exemple de l’alimentation en énergie des avions au sol lors des escales. Il y a encore peu de temps, beaucoup d’avions utilisaient leur APU (Auxiliary Power Unit, une turbine située dans la queue de l’appareil) pour fournir air conditionné, électricité, puissance hydraulique hors fonctionnement des moteurs, en brûlant du kérosène lors des temps d’embarquement/débarquement. Aujourd’hui, beaucoup d’aéroports sont équipés de groupes de puissance mobiles électriques, ou de systèmes centralisés d’air conditionné sur lesquels les avions sont branchés à leur arrivée à poste.

Les premiers vols 100 % SAF ont également été réalisés, chez Transavia et Air France par exemple. Cela augure d’une capacité opérationnelle à réaliser ces vols et donc d’une généralisation à court/moyen terme de l’utilisation de ces carburants dans la limite de leur production. L’État français a également abondé dans le sens des SAFs avec un chèque de 200 millions d’euros dédié aux investissements dans ce domaine.

On voit également se multiplier les initiatives visant à réduire les temps de roulage des avions avant le décollage, à la simplification des routes en vol pour réduire au maximum les distances ou encore à l’optimisation des descentes en vol plané pour réduire les consommations.

Transport aérien

Le secteur aérien est donc un espace de dilemmes entre un monde de technologies de pointe, toujours enclin à repousser les limites du vol, et un marché contraint par les réalités économiques. La décarbonation du transport aérien est une réalité qui s’inscrit dans le temps long pour conserver un niveau de sécurité maximal. Les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050 nécessiteront une vraie rupture du modèle actuel.

A2 Consulting, ainsi que sa filiale Asea spécialisée dans les achats responsables, se sont depuis longtemps investis dans la décarbonation des organisations publiques et privées. Nos missions reposent sur des consultants hautement qualifiés, formés à la méthode Bilan Carbone© de calcul des émissions de GES de l’ADEME et à la méthode Assessing Low Carbon Transition (ACT). Nous réalisons depuis plusieurs années des bilans carbone associant calcul des émissions de GES et plan d’action de réduction pour des acteurs tels que les fonds de gestion d’actifs DNCA et Egamo, l’Institut des Hautes Études pour la Science et la Technologie (IHEST), Allianz France et Allianz Partners. Nous avons établi un partenariat stratégique avec la BPI, en intégrant le programme « Diag Décarbon’Action », qui vise à fournir aux TPE/PME des bilans carbone complets. Notre expertise s’étend à la cartographie des risques RSE, englobant une évaluation approfondie des risques liés au changement climatique pour des entités telles que la Direction du Matériel roulant de la SNCF, Bouygues et ses six Métiers (Bouygues Construction, Colas, Bouygues Immobilier, Bouygues Telecom, Equans et TF1), Picard et le Groupe VyV. En outre, nous sommes engagés dans une démarche de formation à la décarbonation des organisations de toute taille, notamment sur le périmètre des achats.

En lien avec la décarbonation, la France a lancé une expérimentation de dispositif de système de management du carbone dans les achats appelée Échelle de Performance Carbone, inspirée des Pays-Bas et de la Belgique. Cette démarche, coordonnée par l’agence Asea, doit s’étendre d’octobre 2023 à avril 2025 et est soutenue par la fondation néerlandaise SKAO, pilote du déploiement européen du dispositif. L’Échelle de Performance Carbone est un instrument innovant, offrant aux donneurs d’ordre la possibilité de réduire massivement leurs émissions de carbone dans le cadre de leurs achats de services et de travaux. Trois grands donneurs d’ordre de la commande publique ont accepté de participer à cette phase d’essai : UGAP, RTE et Le Groupe La Poste.

Enfin, le rayonnement d’A2 Consulting et d’Asea sur la décarbonation continue via notre engagement dans l’écosystème de la RSE et des achats responsables. A2 Consulting a lancé avec l’Observatoire national des Achats Responsables (ObsAR) un projet d’accompagnement à la décarbonation des achats via le lancement d’un RFI pour inventorier et cartographier les plateformes digitales de gestion du carbone disponibles sur la place. Dernièrement, Asea participe, avec la Médiation des Entreprises, au groupe de travail sur les nouvelles questions liées à la décarbonation des achats du référentiel d’évaluation du Label Relations Fournisseurs et Achats Responsables.

Pour en savoir plus, contactez nos experts.

Cet article a été rédigé par

Maxence STAWSKI
Consultant Transport

Pierre MAZINGANT
Consultant Transport

Chahden CHERIF
Associé en charge du pôle Transport

Mots clés :
Contraintes économiques
Décarbonation
Neutralité carbone
Progès technique
Transport
Transport aérien

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