06 novembre 2021

Prise de parole / Avis d'experts

Véhicule électrique et transition énergétique : limites et réalités

En 2019, les émissions de CO2 générées par le secteur des transports représentaient 24,5% des émissions totales de CO2 dans le monde1. Il faut distinguer dans ces émissions les différents modes de transport : le transport routier (voitures, camions, motos, véhicules utilitaires), le transport aérien (les avions), le transport maritime et fluvial (les bateaux) et transport ferré (les trains). En France, le secteur des transports représente 31 % des émissions de gaz à effet de serre2. Sur ces 31 %, les véhicules particuliers représentent 54 % de ce total et les véhicules utilitaires légers 20 %3.

Bus électrique A2 Consulting

Dans ce contexte, l’Union européenne et le gouvernement français ont fixé un objectif de neutralité carbone d’ici 2050 au travers de l’Accord de Paris sur le climat. Pour y parvenir, le gouvernement français a ratifié la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) le 26 décembre 2019. Qui comprend notamment deux mesures importantes favorisant la mobilité électrique :

  1. L’interdiction de la vente de véhicules diesel et essence en 2040.
  2. L’atteinte de la décarbonisation totale du secteur des transports d’ici 2050.

Ce sont pour ces raisons que le véhicule électrique (VE) se développe fortement aujourd’hui et a vocation à connaitre une croissance exponentielle dans les prochaines années. Dans quelle mesure contribue-t-il à la transition énergétique ? Quels sont ses atouts économiques et écologiques par rapport au véhicule thermique ? Quelles marges d’amélioration doit-il encore atteindre ?

NB : Il existe différents véhicules « électrifiés », les EV dont parle cet article font référence aux véhicules 100 % électriques dit Battery Electric Vehicle (BEV) et ne prennent pas en compte les Hybrid Electric Vehicle (HEV) ainsi que les Plug-in Electric Vehicle (PHEV).

Les indiscutables atouts des véhicules électriques

En 2019, RTE a publié une étude4 sur l’impact du développement des véhicules électriques à l’horizon 2035. RTE y développe une hypothèse haute du développement des EV en 2035 avec 15,6 millions de VE en circulation contre 280 000 en 2020 en France. Néanmoins le marché du véhicule électrique est en constante progression puisqu’en 2021 en France, les EV ont représenté près de 10% des véhicules vendus avec 162 000 ventes. Par ailleurs, l’usage des véhicules électriques est particulièrement adapté aux trajets quotidiens. C’est pourquoi les ventes de VE se font principalement auprès des particuliers et des entreprises pour les véhicules utilitaires légers.

Les résultats de l’analyse de RTE démontrent que « le système électrique peut absorber ce développement du véhicule électrique, même avec un pilotage limité de la recharge » mais aussi que « le développement du véhicule électrique présente des atouts écologiques et économiques majeurs ».

ChecklistD’un point de vue économique le VE présente bien des avantages. Le plein d’un véhicule électrique coûte 3 fois moins cher qu’un plein d’essence. Ce plein pourrait coûter 5 fois moins cher en cas d’outil permettant le pilotage de la recharge (smart charging).

Le Smart Charging permet d’optimiser la recharge d’un véhicule électrique. Par exemple, la demande d’électricité sur le marché français est plus faible la nuit, un VE aurait donc tendance à se recharger la nuit. Ce pilotage de la recharge permettrait aussi d’absorber un éventuel surplus de production de la part des énergies renouvelables (surplus en pleine journée pour le photovoltaïque ou la nuit lors de fortes rafales de vent). Le pilotage de la recharge permettrait une meilleure intégration des énergies renouvelables sur le réseau électrique mais elle permettrait aussi aux particuliers de recharger leur véhicule à moindre coût lorsque le prix de l’électricité est moins cher. Le système électrique français verrait ainsi ses coûts divisés par deux en maximisant l’utilisation de la recharge lorsque les coûts de production d’électricité sont les plus faibles.

Autre technologie, le Vehicle-to-X « V2X », permet de réinjecter de l’énergie directement dans un logement (vehicle-to-home « V2H »), un batiment (Vehicle-to-Builduing « V2B ») ou dans un réseau public d’électricité (Vehicle-to-Grid « V2G »). Cette technologie part d’un principe simple, un véhicule électrique n’est utilisé que 5 % du temps, les 95 % restants il reste garé et ne bouge pas, il peut donc être connecté au réseau. De plus, les VE n’ont pas besoin d’être chargés constamment à 100 % puisqu’un Français roule en moyenne 33km par jour. Le réseau pourrait puiser dans la batterie l’électricité nécessaire pour répondre à une forte demande (lors du pic de consommation en début de soirée) ou pour pallier un manque temporaire de production (lorsque les conditions météorologiques ne permettent pas l’utilisation des énergies renouvelables). C’est ce qu’on appelle le Vehicle-to-grid (V2G) : le véhicule électrique alimente le réseau en fonction des besoins du système électrique (modèle bidirectionnel) et lui offre un service flexible.

Une flexibilité cruciale pour développer les énergies renouvelables et atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050

L’avantage principal des énergies renouvelables est qu’elles n’émettent pas de CO2 pour produire de l’électricité. En revanche, contrairement à des centrales thermiques classiques, les énergies renouvelables sont des moyens de production dits « intermittents », on ne peut pas contrôler leur production dans le temps (énergie du vent et du soleil). Ainsi les périodes de « production » ne coïncident pas forcément avec les périodes de « consommation ». Les possibilités de stockage de l’électricité sont limitées, ce qui est produit doit être consommé instantanément, il faut ajuster l’équilibre à chaque seconde entre l’électricité produite et ce que les Français consomment. Les véhicules électriques, via le « V2G » pourraient aider à maintenir l’équilibre consommation/production sur le réseau électrique.

CatalyseurAutre atout écologique non négligeable, selon RTE, en France un véhicule électrique émettrait 4 fois moins de CO2 qu’un véhicule thermique sur l’ensemble de son cycle de vie (y compris de la batterie). Une évolution concernant le lieu de fabrication des batteries et une amélioration de leur capacité de stockage mais aussi de leur recyclage permettrait d’éviter encore moins de CO2. Ainsi un VE dont la batterie serait produite en France émettrait 5 fois moins de CO2 qu’un véhicule thermique. En revanche, si les véhicules électriques ne polluent pas à l’usage, ils restent néanmoins polluants à construire.

Les véhicules électriques toujours plus polluants à fabriquer que les véhicules thermiques...

Les véhicules électriques sont plus polluants à construire à cause de leur batterie, 33 à 44% du CO2 émis lors de la construction des VE étant émis pour produire la batterie5. Au sein de la production de la batterie, 70 à 80 % des émissions de gaz à effet de serre sont dues à l’assemblage de la batterie et à la fabrication des cellules, qui sont des processus à forte intensité énergétique. 20 à 30 % des émissions restantes sont dues à l’extraction de matières premières telles que le lithium, le cobalt, le nickel et le cuivre6.

Usine

Concernant la production de la batterie, trois pays (Chine, Japon, Corée du Sud7) fabriquent 85 % des batteries du monde. Les émissions de gaz à effet de serre vont donc dépendre du mix énergétique de ces pays qui est encore très carboné. Les énergies fossiles représentent 70 % de la production d’électricité au Japon et en Corée du Sud tandis qu’elles en représentent 85 % en Chine8.

Si les batteries des véhicules électriques étaient fabriquées avec de l’électricité provenant de sources d’énergies renouvelables ou faiblement carbonées, les émissions de CO2 seraient alors drastiquement réduites pendant la phase de production. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui car la production de batteries reste très coûteuse, la filière n’étant pas aussi développée que celle des véhicules thermiques. Néanmoins, plus le marché des VE se développera, plus les économies d’échelles réalisées seront importantes. Cette baisse des coûts de production entrainera une baisse du prix de vente qui se traduira par une hausse de la demande de VE. Selon un sondage réalisé pour RTE, 73 % des Français trouvent le véhicule électrique trop cher9.

Cette baisse des coûts de production pourrait donc permettre de réaffecter la production des batteries dans des pays à faible émission de carbone tel que la France. Cependant, même après avoir pris en compte la phase de production, le bilan environnemental de la voiture électrique dépend fortement du mix énergétique du pays dans lequel un VE roule. Si une voiture électrique est chargée avec une source d’électricité à faible teneur en carbone, elle deviendra rapidement moins polluante que les véhicules thermiques. À l’inverse, si l’électricité provient d’un mix carboné comme le gaz, les véhicules électriques mettront plus de temps à devenir moins polluante que des véhicules thermiques.

Analyse des empreintes carbone de différents véhicules
Empreinte carbone d’un véhicule sur l’ensemble du cycle de vie selon le type de motorisation, le mix de production d’électricité, et la distance parcourue (année de référence 2035). Source : RTE

Un potentiel national à exploiter

La mobilité électrique en France présente des atouts indéniables tant d’un point de vue économique qu’écologique et constitue en soi un des leviers les plus performants pour atteindre la neutralité carbone dans le secteur des transports qui est responsable de 31 % des émissions de gaz à effet de serre en France.

Cette performance écologique reste néanmoins à nuancer, tant au niveau de son cycle de production complet que du mix énergétique des pays dans lequel les VE sont utilisés. La France a la chance de disposer déjà d’un mix énergétique fortement décarboné et peut donc dès aujourd’hui profiter des nombreux atouts des VE pour atteindre sa neutralité carbone.

Enfin, grâce aux nouvelles technologies qui en découlent, la mobilité électrique permet d’accompagner le développement des énergies renouvelables et la transition énergétique.

– Le pilotage de la recharge permet d’absorber des surplus de production solaire et éolien mais aussi de consommer de l’électricité à un prix abordable.

– Le vehicle-to-grid (V2G) permet de réinjecter de l’électricité dans le réseau électrique lorsque des pics de consommation surviennent à l’échelle nationale.

[1] International Energy Agency

[2] https://ree.developpement-durable.gouv.fr/themes/defis-environnementaux/changement-climatique/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre/article/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-du-secteur-des-transports

[3] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat/11-emissions-de-ges-des-transports

[4] https://www.rte-france.com/actualites/developpement-du-vehicule-electrique-et-systeme-electrique-une-faisabilite-sereine-et

[5] Ellingsen, L. and Hung, C., 2018, Research for TRAN committee — resources, energy, and lifecycle greenhouse gas emission aspects of electric vehicles, Policy Department for Structural and Cohesion Policies, European Parliament, Brussels.

[6] Kim, H. C., et al., 2016, ‘Cradle-to-gate emissions from a commercial electric vehicle Li-ion battery: a comparative analysis’, Environmental Science and Technology 50(14), pp. 7715-7722.

[7] ICCT, 2018a.

[8] International Energy Agency

[9] http://www.odoxa.fr/sondage/voiture-electrique-potentiel-daccueil-deja-tres-important-france-pourrait-etre-largement-accru/

Mots clés :
énergie
Énergie renouvelable
LOM
Transition écologique
Véhicule électrique

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